Une thématique universelle et atemporelle, hautement classique : le Paysage. _Pauline Faure

La simplicité du terme, si familier, recouvre une réalité complexe. Le paysage existe-t-il au-dehors de l’œil qui le regarde, le cadre ? Le paysage est-il une vue de l’esprit ou une création naturelle ? Le paysage est-il toujours le signe d’une culture ?

De tout temps ces questions se sont posées. En Europe, de l’antiquité aux Lumières la question divine du paysage et les symboles présents dans ses représentations ont marqué l’histoire. De même, les règles de composition et de perspectives ont fabriqué certaines règles artificielles et systématiques qui ont normalisé les pratiques. Enfin, le paysage « décor pour une scène » devient une scène en soi, d’abord au travers des fenêtres ouvertes sur l’extérieur présentant une forme miniaturisée et encadrée chez les flamands et les italiens des XIV et XVe siècles, pour s’épanouir en sujet en soi au tout début du XVIe siècle. Non seulement le paysage n’est plus le décor d’une action, mais souvent les scènes illustrées ne deviennent que le prétexte à représenter un paysage. Le motif se normalise, des règles apparaissent : le paysage hollandais et son découpage de l’espace en trois plans-couleur, brun-ocre pour le premier, vert pour le plan moyen, bleu pour le lointain, par exemple ; ou encore, plus tard, le classicisme qui intellectualise la représentation au profit de compositions géométriques et d’une prévalence de l’harmonie. Le paysage romantique est tout aussi éloigné d’un quelconque naturalisme, mais pour cette fois incarner les états d’âme et le sensible. La nature est passée d’un décor pour l’activité humaine à une domestication par la raison pour finir en miroir de l’âme… Mais le genre trouve sans doute son apogée dans l’impressionnisme : ni rationnel, ni sensible, ni divin, ni normalisé… le paysage semble y régner dans toutes les palettes de sa spontanéité.

Le XXe siècle dans sa dimension d’avant-garde et de décloisonnement des genres, dans son attitude de recul et de remise en question généralisés, mais surtout dans l’auto-questionnement de la pratique artistique sur elle-même s’est éloigné de la question du motif quel qu’il soit.

Le paysage devient un sujet de questionnements, d’analyse, de recherche de formes d’évocations justes, capables de susciter émotions et interprétations multiples qui sont le propre de l’objet artistique. L’existence même du sujet est mise en doute, le Land Art fait de l’art avec la nature, l’Arte Povera la prélève pour l’exposer, et le paysage n’a plus la nature comme cadre, le concept est une construction mentale qui s’incarne dans des formes multiples, à même de convaincre de l’incertitude du monde et de ses réalités.

Alors le paysage aujourd’hui pourrait apparaître obsolète et désuet. Pourtant les concepts ne vieillissent pas contrairement aux formes, et chaque artistes montre un peu de son paysage… fantasmé, maniéré, fulgurant ou figé… mental ou corporel… maîtrisé ou contraignant.

Petites et grandes vues de train constituent les fragments de paysages que nous offre Jean-Luc Brignola. Fenêtres sur des paysages contemporains, inidentifiables tant ils sont universels, à l’image d’un environnement mêlant les éléments de zones rurales ou périurbaines, sans attrait particulier. En travaillant à partir de photographies, Jean-Luc Brignola réussit à transposer dans ses peintures les vues fugitives, captées par l’œil au quotidien. Le pouvoir de l’artiste consiste alors à transformer l’insignifiant en « scène ». Le regard se pose et observe cette suspension du temps offerte sur un cadre prélevé dans notre réalité. Les couleurs, les compositions, les touches différentes, multiples, organisent une image qui s’inscrit dans la mémoire de façon permanente, donnant l’opportunité d’une observation décalée sur ce qui constitue notre univers. La série des petites et grandes vues de train permet de renouveler le regard et donner des lectures autres. L’œil est en permanence sollicité par l’image véhiculée par les panneaux publicitaires, les médias. L’attention portée à la réalité – non spectaculaire et non-désignée comme sujet à regarder – disparaît. L’artiste nous rappelle, par le cadre qu’il pose sur notre quotidien, et la transposition au travers de ses propres moyens d’expression, que le monde est digne d’intérêt, qu’il est empli de signes à décrypter, que la neutralité n’existe pas et que le sensible est tapi au sein de chacune de nos fenêtres ouvertes sur le monde, si tant est qu’on se donne la peine de les ouvrir.

Pauline Faure_ Sept. 2012